Les longues soirées d’hiver, et surtout celui-ci, nous imposant le cocooning, la lecture est un rendez-vous non négociable avec l’évasion, le recul, parfois soi-même et pourquoi pas certaines vérités. Spécialiste de l’analyse du discours, le linguiste Patrick Charaudeau nous invite à plonger dans les arcanes de la vérité et de la post-vérité. De la persuasion à la manipulation, il n’y a qu’un pas… souvent franchi et parfois jusqu’à la table de négociation.
Nous le constatons à chaque instant et à chaque connexion, les moyens modernes de communication jouent en permanence avec la vérité et un rôle déterminant dans la manipulation des esprits. Cette manipulation toucherait-t-elle également le domaine politique à des fins de pouvoir, et pour ce qui nous concerne, le monde commercial à des fins de profit et médiatique à des fins de concurrence ? Les réponses de Patrick Charaudeau sont objectives et édifiantes.
Mais la manipulation n’est pas le seul fait des puissants, elle s’exerce aussi de bas en haut ou de façon horizontale, explique l’auteur : « Quels sont les rapports du sujet à la vérité ? Comment la vérité peut-elle être travestie ? ». « Où finit la persuasion ? Où commence la manipulation » s’interroge également Nicolas Journet dans le magazine Sciences Humaines (n°333 – Février 2021). Parler ne se réduit pas à donner une information vraie ou fausse, mais vise en général à produire un effet, à exercer une influence… ». Tout négociateur le sait bien.
Patrick Charaudeau dresse un inventaire averti de ces « vices » de langage, conscients ou non, susceptible de pervertir un échange et par là même, une négociation. Quelques exemples. La négation et le déni des évidences à l’usage multicartes : se défendre, se mettre en valeur, provoquer, séduire, justifier, nuire ; la flatterie ou l’éloge aux pouvoirs lénifiants et soporifiques ; la dissuasion pour semer le doute chez l’autre, la tromperie par omission ou par mensonge délibéré, la menace pour faire peur. L’arsenal de la manipulation est bien pourvu en armes… psychologiques.
Sans oublier la fâcheuse tendance qui consiste à s’arranger avec ses propres vérités, voire à les enrichir exclusivement de ce qui va les nourrir (biais de confirmation traité dans nos colonnes), le règne de la post-vérité n’est pas loin, le complotisme en est un triste exemple. Que dire face à l’indifférence à la vérité polluant notamment les réseaux sociaux ? Que faire face à un interlocuteur ancré dans ses certitudes et le parti pris ?
Tout négociateur qui se respecte et respecte son interlocuteur s’appuiera donc sur des faits et des données tangibles et vérifiables. Si la mauvaise foi persiste, se posera la question de la contourner avec patience, talent et capacité à improviser ou bien d’ajourner purement et simplement la discussion en cours. Quant au « fait » de convaincre, au négociateur de savoir faire la nuance entre persuasion et manipulation… la frontière entre leur deux est donc très mince.
Un négociateur averti en vaut deux et les « vérités » de Patrick Charaudeau sont bonnes et utiles à lire !
La manipulation de la vérité. Du triomphe de la négation aux brouillages de la post-vérité. Patrick Charaudeau. Illustrations de Xavier Gorce. Ed. Lambert-Lucas, 19 €.