Réunion ce jeudi entre le secrétaire d’État britannique chargé du Brexit David Frost et le secrétaire d’État français aux Affaires Européennes Clément Beaune. Au menu : du poisson… à condition que les deux parties arrivent à pêcher un accord malgré leurs lignes de conduite bien emmêlées et l’hameçonnage par la menace.
Si les noms d’oiseaux, ou plutôt de mouettes, ont failli pleuvoir sur chaque rive de la Manche, les menaces ont monté d’un cran avant d’être provisoirement levées côté Français… Au cœur de la tempête diplomatique : le manque de licences accordées par les autorités britanniques pour que les pêcheurs français puissent exercer dans les eaux territoriales anglaises. Une zone stratégique rappelle Thomas Pontiroli dans les Echos : « Sur la période 2011-2015, selon les chiffres du ministère de l'Agriculture, la France a pêché 100.000 tonnes de poisson en eaux britanniques, soit 24 % du volume produit en métropole. C'est dire l'enjeu que représente l'éventuelle fermeture de cette zone pour cause du Brexit ».
Les accords du Brexit prévoyaient pourtant un accord pour que les pêcheurs français aient accès à cette zone profitant également aux pêcheurs européens : hollandais, belges, danois, allemands. La France y réalisant 30% de ses prises. « Si l’accord du Brexit propose une solution, sa mise en application pose problème » soulignent les Echos revenant sur les 1 200 pages de l’accord conclu in extremis du Brexit abordant la question épineuse de la pêche qui a même failli le saborder.
« Solution proposée, précise le quotidien : continuer à pêcher dans certaines eaux britanniques (une bande de 6 à 12 milles nautiques au large des côtes britannique et près des îles de Jersey et Guernesey), mais à condition d'obtenir une licence de pêche ». Or la France reproche aux Anglais de ne pas avoir accordé ces licences assez vite poussant ainsi à la faillite certains de ses pêcheurs et provoquant des difficultés d’approvisionnement.
De guerre lasse, la France a fini par menacer l’Angleterre de sanctions et pour être prise au sérieux, a décidé de bloquer au Havre un navire écossais venu pêcher dans ses eaux. Cette immobilisation fut le point de départ d’une nouvelle escalade de menaces. Côté britannique : renforcement des contrôles des bateaux français. Côté français : contrôles de sécurité sur les bateaux anglais et interdiction de débarquer dans certains ports.
La France semble aujourd’hui bénéficier du soutien de l’Europe, ce qui n’entame pas le flegme de Boris Johnson déclarant que « les menaces françaises sont totalement injustifiées et incompatibles avec l'accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l'Union européenne ou avec le droit international ». De même, le Premier ministre britannique menace d'activer - une première - le mécanisme de règlement des différends de l'accord post-Brexit afin de demander des compensations.
Ce jeudi, l’heure est aux négociations et un « état d’esprit constructif » semble se dessiner d’après Jean-Baptiste Djebbari, ministre chargé des transports : « il faut arrêter de palabrer et avancer sur le fond ». « Le ton a en effet baissé, mais aucun protagoniste ne semble prêt à faire des concessions » annonce 20 Minutes. En effet, Boris Johson reste ferme sur ses positions malgré les nouveaux appels à la désescalade d’Emmanuel Macron. Un nouveau feuilleton donc à suivre et dont nos pêcheurs se seraient bien passés.
Quelques réflexions en matière de négociation :
- Sur l’accord du Brexit proprement dit. À force de rester focalisé sur la date butoir (un objectif impérieux), les négociateurs n’ont-ils pas remis à plus tard l’application de certains points ? Un accord donc biaisé ?
- Sur l’art de menacer : ce feuilleton hélas en grandeur réelle est la parfaite illustration de la montée en escalades des menaces, afin nous l’espérons tous, de mener les protagonistes à la table de négociations. « La négocation est aussi est un exercice du rapport de forces » commente Jean-Baptiste Djebbari, ministre chargé des transports.
- La négociation exige des concessions valorisées de part et d’autre, à condition que personne ne perde la face et que l’amour propre, le nationalisme et la politique intérieure tiennent compte d’un intérêt réellement général.
Comme le formulent les Echos : il y a aujourd’hui un « fragile répit entre Paris et Londres sur la guerre du poisson ». Et en filigrane précise encore le quotidien : « le protocole nord-irlandais, l’affaire des sous-marins australiens et l’alliance Aukus, le scepticisme d’Emmanuel Macron sur le vaccin AstraZeneca », sans oublier une relation historique parfois compliquée.
Souhaitons que ces négociations ne se terminent pas sur un Trafalgar aux retombées douloureuses pour chaque protagoniste et surtout les personnes concernées.
Pour être positifs, concluons sur une citation de Peter Ustinov : « Les Français et les Anglais sont de si bons ennemis qu’ils ne peuvent s’empêcher d’être des amis ».