Imaginons une négociation improbable durant laquelle Montaigne et Machiavel se feraient face. Deux conceptions s’opposent. Pour Montaigne (1533-1592) le sens de la droiture ; pour Machiavel (1469–1527), l’art de la ruse. Qui va l’emporter ? Et vous, à laquelle de ces deux figures emblématiques vous identifier… Peut-être aux deux ?
Si nous connaissons Montaigne pour ses fameux essais, son amitié indéfectible pour La Boétie, ses périples à cheval ou encore son incitation jubilatoire « à savoir jouir loyalement de son être », ses qualités de négociateur sont quant à elles moins mises en avant, y compris par Montaigne lui-même qui demeura très discret à leur sujet. Et pourtant, elles séduisirent en leur temps Henri III. En effet, le philosophe épicurien conduisit avec brio des négociations entre Henri de Navarre et Henri de Guise, puis entre le Roi de France et le Roi de Navarre.
Dans ses Essais, Montaigne se décrit ainsi : « dans le peu que j’ai eu à négocier entre nos princes, les gens du métier restent le plus dissimulés qu’ils peuvent et se présentent comme les hommes les plus modérés et les plus proches des opinions de ceux qu’ils approchent. Moi je me montre avec mes opinions les plus vives et sous ma forme la plus personnelle : négociateur tendre et novice, j’aime mieux faillir à ma mission que faillir à moi-même ! Cette tâche a pourtant été faite jusqu’à cette heure avec une telle réussite (assurément le hasard y a la part principale) que peu d’hommes sont entrés en rapport avec un parti, puis avec l’autre, avec moins de soupçon, plus de faveur et de familiarité ».
Vous l’aurez compris, Montaigne exprime ici des valeurs humaines (humanistes ?), fondamentales qui trouvent tout leur écho dans le monde contemporain : ne pas se parjurer, la loyauté, l’honnêteté, la franchise, l’empathie, etc.
C’est évidemment tout l’inverse chez Machiavel, roi de la ruse, qui enfanta le Prince, ce manuel de la manipulation dont le « franc » succès ne se dément toujours pas au XXIème siècle. Il est vrai que nous sommes au royaume de l’intrigue à l’italienne. Grâce à ce traité politique, le gouvernant a toutes les armes pour le rester, même si elles vont contre la morale et les bonnes mœurs : « Il faut donc qu’un prince qui veut se maintenir apprenne à ne pas être toujours bon, et en user bien ou mal, selon la nécessité ». Il doit aussi « posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler ». Son hypocrisie doit le faire paraître « tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion ». C’est clair, dans le Prince, morale et politique ne font pas nécessairement bon ménage!
Alors, vous sentez-vous plus Montaigne que Machiavel ? Préférez-vous la dextérité à l’honnêteté ? La dissimulation à l’italienne vous donnerait-elle envie de devenir un Mazarin plus préoccupé par « la finesse des négociations » que par leur objectif réel ? Ou ferez-vous vôtre cette citation de Montaigne : « Un parler ouvert ouvre un autre parler et le tire hors, comme fait le vin et l’amour ». Un mix des deux ?
Sur un plan plus concret, à vous de peser pour et le contre : Embellir, travestir ou taire une situation au risque d’être contredit par la réalité. Ne pas se valoriser au risque de ne pas séduire. Parier sur l’immédiateté du court terme plutôt que sur un long terme plus prometteur. Bluffer et être démasqué. Promettre ce que l’on ne peut tenir… Que de dilemmes !
Certes, Montaigne et Machiavel ne pouvaient se rencontrer pour une question de date bien sûr… Qui de l’un ou de l’autre serait sorti aujourd’hui vainqueur de cette improbable négociation ? Si nous n’avons pas la réponse, il suffit de suivre l’actualité pour constater que la question reste posée, même si chez Scotwork, Montaigne reste une référence, y compris en matière de joie de vivre !